Jeu du souvenir
Ou la sensation du temps perdu.
Je ne sais pas pourquoi, en rentrant aujourd’hui, sous la pluie, en passant ma porte, en me retrouvant là, sans connection internet, le jour de mon anniversaire, cette musique m’est venu à l’esprit. J’aurais pu être frustré
(comme je l’ai été toute la journée, alors que l’administrateur réseau m’a bloqué mon accès à travian… que je n’ai même pas pu ouvrir la carte de voeux que ma mère m’a envoyée. Mais bon il faut assumer d’être passé au dégroupage total avec un fournisseur parisien au rabais et de ne plus pouvoir accéder à internet pendant quelques temps -une semaine probablement-, en attendant le technicien en déplacement).
De ne pas pouvoir parler du débat Sarko/Royal qui doit enflammer, au moment où j’écris ces lignes, le JDI, de la surprise venue du journal Le Monde qui, contre toute attente, tourne casaque et voit la vie soudainement en rose. Je pourrai aussi préparer un texte sur ma détresse, toute relative finalement, de cet … -ah je ne peux plus trouver le mot dans le dictionnaire des synonymes en ligne de l’université de Caen… ah si- … de ce sevrage forcé; Internet est devenu une drogue (net addiction qu’ils disaient, à la fin des années 90, les scientifiques). Je pourrai encore lancer cet appel de mon arrivée prochaine à Paris, que je ne peux plus préparer du coup. Ou de ma résurrection, presque ratée avec déjà cette semie mort.
C’est peut être cette mort ratée qui m’a amenée à cette musique. Cette musique de jeux vidéos. Ce flash de gamin qui ferait sourire ces « Grands » qui ne parlent que de choses sérieuses. Mais dont j’ai appris qu’ils n’en comprenaient pas grand chose. C’est peut être pour cela que j’ai fait de la politique : pour me mettre à leur niveau. Dans le domaine royal, le sujet des plus sérieux, j’ai creusé les idées et j’ai pris sans doute un malin plaisir à briser ses masques d’intelligence, porteurs du message ambiant sans le réfléchir, sans en prendre du recul, sans savoir le critiquer et se l’approprier.
Désormais, je peux retourner sans complexe vers les sujets dits mineurs. Enfin… sans complexe, il m’a fallu aussi d’autres pairs pour m’aider à n’avoir plus de complexes. Et après les idées, les débats, les analystes, j’essaye de me laisser réenvahir par les sensations, les flashs. Ce qui va attirer mon regard un instant. Qui va me faire penser à telle ou telle chose. Un extrait d’un roman de sociologie ? Un corps nu, captant les rayons du soleil, et allongé près d’une fontaine ? Le passage d’un film de série Z ? Une tartine de crème de marron sur du riz soufflé ? La statue de pierre d’un cerf dans le jardin du Luxembourg, au milieu d’un parterre de violettes ?
Là, ça sera un passage de jeu vidéo, sur cette musique. Tout bête. Un vieux jeu de super nintendo, jamais sorti en France, avec des persos un peu moches, dans lesquels je ne me suis pas trop retrouvé au début. Mais il est rare de tout de suite s’attacher à un héro. Il faut vivre des aventures, éprouver des sentiments, être pris dans le fil de l’intrigue avant de commence à s’identifier à lui (Comme on le lit dans « l’Histoire sans fin » de Michael Ende). Donc, ce héro se balade dans les villages, toujours suivi par sa horde d’amis. Il glane des informations souvent dans des dialogues futiles qui, à l’époque servait à justifier la présence d’un nouveau bonhomme de pixel.
Notre héros donc, dont je ne me rappelle plus le nom (j’ai pris la mauvaise habitude de toujours leur donner mes propres noms), le héros de ChronoTrigger nous l’appelerons, se ballade dans une cité dans le ciel et comme à son habitude rencontre une série de bonhommes de pixel à dialogues futiles. Il traverse des paysages magnifiques et rencontre un petit garçon qui joue avec son chat. « Miaou » fait le chat. Hum hum ça commence à devenir original. Et dans l’entrain de la musique, le héros interroge le garçon alors que le monde se fige derrière le texte qui apparaît dans une bulle bleue : « Oh, il va bientôt mourir… ». Et si tôt le message disparut, l’enfant retourne à la pourchasse de son chat et les hommes de pixels à leur occupation mécanique.
Je sais pas pourquoi, ce moment a laissé une trace dans la plaine vaste de mes souvenirs, couplé à cette musique et, sans doute, à d’autres liaisons inconscientes. Car les souvenirs, comme les nuages, progressent par bans, portés par d’à peine perceptibles associations d’idées. J’ai peut être été touché par cette manière enfantine de dire les choses, par le caractère prémonitoire du destin, ou cet avertissement dont on ne peut tenir compte noyé dans la banalité du présent. Pourtant, cette phrase faisant contraste avec le reste, nous fait déjà présentir l’avenir. On sait que le héros va mourir. On est déjà triste, mais on ne peut rien faire. Et cette musique semble soudain si triste, ou du moins on la voudrait triste alors qu’elle ne l’était pas…, qu’elle ne l’est pas. On ressent alors sa nostalgie, les notes glissent lancinantes. L’air du synthé qui traîne ne s’arrête pourtant pas et rebondit parfois rapidement. Il devient le symbole de cette vie qui continue malgré la tristesse, malgré le destin tragique des individus. Cette vie qui se poursuit, insensible aux disparus, pour ne pas elle même disparaître.
(Yasunori Mitsuda) 1999
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