Libé…
A la terrasse d’un café… bon honnêtement c’était plutôt après avoir trouvé une place difficilement au Starbucks…, lu dans libération :
Aux assises, un agriculteur à bout, face à des fonctionnaires à vif.
L’affaire de cet agriculteur qui a tué deux inspecteurs du travail.
Cela m’interloque… est-ce que c’est parce que je sais maintenant ce qu’est la vie de fonctionnaire et que j’agis comme un vrai corporatiste ? Ou peut être ai-je raison d’être choqué par ce gros titre, dans un journal qui est censé représenter la gauche. Je me suis fait peut être des idées… Sans doute, une mauvaise journée, un mauvais café, l’absence de relations… Mais j’ai eu sur le coup l’impression d’être devant le contribuable (à ne pas confondre avec le citoyen) en train de vilipender ces fonctionnaires qui empêchent la libre entreprise et assassinent (!) ces pauvres entrepreneurs empêtrés dans le trop de législation et le trop d’impôts…
Je me suis arrêté un moment. Bon, j’interprète sans doute mal. Peut être qu’il était défendable finalement cet agriculteur. Au delà des vies qu’il a prises, il y a peut être une raison. Peut être doit-on le plaindre, il a des circonstances atténuantes… C’était le premier jour du procès.
Un mois et demi plus tard, voici un article explicatif. Finalement, j’avais bien raison au départ…
Aux assises de Dordogne
Un fait divers pas comme les autres
Lors d’un contrôle sur une exploitation, deux agents ont été abattus par un exploitant agricole. Familles, collègues et syndicats s’étaient portés parties civiles.
Que s’est-il passé dans la tête de Claude, le 2 septembre 2004 à Saussignac en Dordogne lorsqu’il a tiré à bout portant sur Daniel Buffière, contrôleur de la Mutualité sociale agricole (MSA) et sur Sylvie Trémouille, son homologue à l’Inspection du travail ?
Ce propriétaire d’une exploitation agricole a comparu pour ce double meurtre devant les assises de Dordogne début mars. Les experts psychiatres le décrivent comme un homme psychorigide, orgueilleux, refusant toute contestation ou critique. Ces amis disent de lui qu’il est fier, droit dans ses bottes », défenseur de valeurs qui ont guidé sa vie: honnêteté, sens de l’honneur, rigueur jusqu’à la méticulosité. Claude n’a jamais connu l’échec.
A dix-sept ans, il rejoint l’armée de l’air où il occupe un poste administratif. Il est apprécié de ses chefs et de ses camarades. Quinze années plus tard, il quitte « la grande muette » pour reprendre un petit cabinet d’assurances qu’il développe au point de devenir une sorte de notable local. On le décrit bon père, bon mari. En 1999, il réalise son rêve. II achète une propriété agricole de 28 hectares à Saussignac avec un associé. Le rêve tourne alors au cauchemar. Claude n’est pas un vrai agriculteur. Il découvre les aléas de la production de pommes, de prunes ou de vin. Assez vite, il rompt avec son associé et ami qui, bien que marié, noue une relation amoureuse avec sa fille de vingt ans plus jeune que lui. Claude vit cela comme une double trahison. Et puis s’enchaînent une demande de prêt refusée par la banque et un contrôle du travail qui le bouleverse. En septembre 2002. Nadine Moreau, contrôleur du travail, se présente à Saussignac. Elle fait son travail : vérifie la légalité des déclarations des salariés saisonniers et constate deux infractions. L’absence de papiers en règle d’un ouvrier marocain. Bien qu’ayant travaillé en Espagne et dans d’autres exploitations agricoles de la région, l’ouvrier n’a pas de titre de séjour valable. L’exploitant assure qu’il avait demandé à l’inspection du travail et à la MSA ce qu’il fallait faire. Deuxième infraction, certains salariés ne sont pas embauchés par Claude mais par un dénommé Chérif qui met ses ouvriers à sa disposition contre espèces sonnantes et trébuchantes. Cela s’appelle un prêt de main-d’œuvre illégal. Pour cette deuxième infraction, Nadine Moreau verbalise Chérif, mais explique longuement à Claude le caractère illicite de ces embauches. « J’ai cru en sa bonne foi », dit-elle, à l’audience. En revanche, elle le verbalise pour l’emploi de l’ouvrier marocain.
Le mythe du complot. L’année 2003 sera celle de « la descentes aux enfers ». Claude est alors persuadé qu’une main anonyme tire les ficelles pour le perdre. Il a le sentiment d’avoir été escroqué par une cave viticole puis ce sont les difficultés financières qui s’amoncellent. En juin, cet homme, sanguin et parfois brutal, est convoqué au tribunal correctionnel de Bergerac pour répondre de l’infraction relevée par Nadine Moreau. « J’étais asphyxié, déshonoré », explique-t-il à la cour d’assises. En fait, Claude n’est condamné qu’à 600 € d’amende avec sursis. Autrement dit, rien ! Mais pour lui, c’est énorme, il s’agit d’une grave injustice. Il s’enfonce dans une longue dépression avérée par les experts psychiatres et ses amis qui témoignent en sa faveur à l’audience.
Alban Darquest le décrit comme » un homme chagriné, accablé, trahi ». Lors de l’instruction, cet ami chasseur a osé déclarer que « les victimes le méritaient bien ». Acculé à confirmer ses propos par un avocat de la partie civile, il bredouille puis affirme avant de déclarer que « des copains agriculteurs ont eux aussi été agressés par les cow-boys » venus opérer des contrôles. Pour les amis de Claude, agriculteurs ou non, il n’est pas normal que les contrôles soient exécutés de manière inopinée. A les entendre, il faudrait que l’employeur soit prévenu au préalable. Michel Boue, directeur du travail, à qui le président Noilen pose cette question, rétorque non sans humour : « Autant nous demander de rester dans notre bureau à faire des mots croisés. » En 2003, Claude, endetté, décide sur les conseils de son avocat de se mettre en liquidation judiciaire. Il fait une donation-partage à ses enfants et commence à avoir des tentations suicidaires. Tentations aggravées lorsque son jeune repreneur se voit refuser tous ses crédits amenant Claude à ce qu’il dit être une impasse. Fin 2003, un nouveau contrôle se déroule bien, mais Chérif est toujours là avec son prêt de main-d’œuvre illégal. Nous sommes loin du harcèlement administratif et judiciaire dont se plaint l’accusé.
Insultes et menaces physiques. Dominique Sorain, secrétaire général au ministère de l’Agriculture, a été directeur départemental en Dordogne de 1999 à 2003. Il connaît bien le terrain, les contrôleurs et leur métier. A cette époque, il voyait tous les jours Daniel Buffière. «J’appréciais son calme, sa gentillesse. » L’homme est un militant syndical, secrétaire du comité d’entreprise à la MSA, premier adjoint au maire d’une petite commune. Il n’a rien d’un cow-boy ni d’un shérif. Au contraire. Pour Dominique Sorain, « le travail des contrôleurs n ‘est pas de faire du chiffre, mais d’appuyer les agriculteurs, de développer des liens, d’expliquer avec pédagogie la réglementations sur la main-d’œuvre irrégulière ». Et d’ajouter: « nous ne sommes pas du tout dans le cadre d’une procédure inquisitoriale. »
Depuis le double meurtre, les incidents sont devenus plus fréquents. Insultes, menaces, agressions physiques. « En 2004, nous avons connu un pic après le drame. Des agriculteurs disaient aux contrôleurs « on va faire la même chose qu’à Saussignac. » » Le traumatisme est tel que de nombreux agents, surtout des femmes, à l’instar de Nadine Moreau, traumatisée par la mort de sa collègue Sylvie Tré-mouille, ne se sentent plus capables d’aller sur le terrain opérer des contrôles. Et pourtant, parler de harcèlement ne correspond pas, loin s’en faut, à la réalité. En Dordogne, les inspecteurs ne dressent pas plus de 15 à 20 procès-verbaux par an.
Le 2 septembre 2004, Sylvie Trémouille, 40 ans, dont tout le monde loue le calme et la capacité de dialogue, et Daniel Buffière, se rendent à Saussignac pour un contrôle. L’exploitation, bien qu’en vente, continue de produire. C’est le temps de la récolte des prunes et Claude, faute de salariés, a fait, une fois encore, appel à Chérif pour lui fournir des saisonniers. Ce jour-là, la bâche de la machine à ramasser des prunes est déchirée. Un réparateur est sur place ainsi qu’un ouvrier. Ils seront témoins de la scène du crime. Claude discute avec Daniel Buffière. Sylvie Trémouille n’a pas ouvert la bouche. Le contrôleur fait remarquer que le prêt de main-d’œuvre est illicite, que Claude risque d’être verbalisé et convoqué devant un tribunal. Le ton monte. Claude veut partir, quitter les lieux. Il est, dit-il, « pris de panique » à l’idée de répondre en Correctionnelle à cette infraction. Il se précipite dans la maison qui sert d’abri aux ouvriers. Il s’empare de son fusil, un Beretta, dans lequel il place des cartouches balles Brenneke, calibre 12, utilisées pour le gros gibier. Claude qui affirme ne chasser que la bécasse avait acheté ces cartouches pour se donner la mort. N’empêche qu’avant de faire feu sur sa mâchoire, il tue à soixante mètres Daniel Buffière puis réajuste son tir et fait feu sur Sylvie Trémouille qui prenait la fuite. La balle l’atteint dans le dos.
Dès le début de l’audience, les inspecteurs du travail, venus de toute la France, se relaient dans la petite salle des assises et la salle du tribunal correctionnel où une vidéo a été installée. Les cadres des ministères du Travail, de l’Agriculture sont présents pour soutenir les familles et, par leur seule présence, demander aux jurés que justice soit rendue. Le fils de l’accusé, lors son témoignage, confie : « ce n’est pas mon père qui a tiré mais son fantôme ». Ajoutant, que son état psychologique était tel « qu ‘il aurait tiré sur n ‘importe qui lui apportant une mauvaise nouvelle ». Maladroit, bravache, Claude, au lieu de s’excuser déclare à qui veut l’entendre qu’il « écrira un livre en détention sur la réforme des contrôles et du Code du travail! » Un comble pour les inspecteurs du travail. Pour eux, et pour l’avocat général, il s’agit bien d’un double meurtre volontaire sur personne ayant une autorité, circonstance aggravante. Dans son réquisitoire d’une heure à peine, Nicolas Jacquet, avocat général, n’a reconnu aucune circonstance atténuante à Claude. Pour lui, le crime a été perpétré de sang-froid par un homme qui refuse de respecter la loi. « Les contrôles ne sont pas inquisitoriaux, ils servent, au contraire à protéger ceux qui ne sont pas en position de force dans la société. » II réclame une peine exemplaire. Pour la première fois de sa carrière, l’avocat général demande aux jurés de condamner Claude à la réclusion criminelle à perpétuité. « Je n ‘accepterai pas une peine inférieure à trente ans. » Me Eric Visseron, l’avocat de la défense, aura bien du mal à expliquer que son client n’a rien contre les inspecteurs du travail, qu’il a été victime « de petits malheurs successifs » qui l’ont rendu malade. En larmes, l’accusé demande » pardon à tous ». Après deux heures de délibéré, les jurés de la cour d’assises de la Dordogne condamnent Claude à trente ans de réclusion criminelle. L’homme entend ce verdict impassible. Déjà ailleurs. Sans illusions. II avait prévenu : « Je ne comptabiliserai pas les années de prison. »
Henri Israël, CFDT Magazine, avril 2007
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