La pression du groupe sur l’individu (post scientifique)
J’étais en cours de numérisation de mes cours de fac (qui commencent sérieusement à prendre la poussière), quand je suis tombé avec plaisir sur une page reprenant les expériences de Solomon Ash, un scientifiques qui, dans les années 50, a travaillé sur le comportement humain et la pression du groupe sur les opinions des individus.
A l’heure où les sondages sont censés orienter nos décisions, je ne résiste pas à l’envie de vous la faire partager.
Cours « L’information par l’image » – P.-Y. CHEREUL – 1996-1997
Les expériences de Solomon Asch
mettant en évidence la pression du groupe sur l’individu,
une variante de l’argument d’autorité
(Au cours des célèbres expériences du professeur Solomon Asch, de l’Université de Pennsylvanie), on montrait deux cartes à des groupes de sept à neuf étudiants. Sur la première, il y avait une ligne verticale unique; sur la seconde, trois lignes verticales de longueurs différentes. On déclarait aux étudiants qu’il s’agissait d’une expérience de perception visuelle, leur tâche consistant à trouver laquelle des lignes de la carte 2 avait la même longueur que la ligne de la carte 1.
Asch décrivit ainsi le cours des événements:
Ce que le dissident ne sait pas, explique Asch, c’est que les autres étudiants ont auparavant été soigneusement instruits de donner unanimement à certains moments des réponses fausses. Le dissident est le seul véritable sujet de l’expérience et se trouve dans une position des plus inhabituelles et des moins rassurantes: il lui faut contredire l’opinion générale du groupe et sembler étrangement perdu, ou bien douter du témoignage de ses sens.
Aussi incroyable que cela paraisse, 36,8 % des sujets choisirent dans ces conditions la deuxième solution et se soumirent à la trompeuse opinion du groupe. (2)
Asch introduisit ensuite dans l’expérience certaines modifications et put montrer que la force numérique de l’opposition – à savoir le nombre de personnes contredisant les réponses du sujet – était un élément important. Si seul un membre du groupe le contredisait, le sujet n’avait aucune peine à maintenir son indépendance. Dès qu’on faisait passer l’opposition à deux personnes, la soumission du sujet grimpait à 13,6%. Avec trois opposants, la courbe d’échecs atteignait 31,8%, et à partir de là se stabilisait, toute nouvelle augmentation du nombre des opposants n’élevant le pourcentage qu’aux 36,8% cités plus haut. Inversement, la présence d’un partenaire solidaire représentait une aide précieuse pour s’opposer à la pression du groupe: dans ces conditions les réponses incorrectes du sujet chutaient au quart du taux d’erreurs mentionné.
Il est particulièrement difficile d’apprécier l’impact d’un événement tel qu’un tremblement de terre avant d’en avoir fait réellement l’expérience. L’effet de l’expérience d’Asch est comparable. Quand on donna la parole aux sujets, ils racontèrent qu’ils avaient, au cours du test, vécu toutes sortes d’inconforts émotionnels, de l’angoisse légère jusqu’à quelque chose touchant à la dépersonnalisation. Même ceux qui refusèrent de se soumettre à l’opinion du groupe et continuèrent de se fier à leur propre perception, le firent au prix de l’idée harcelante qu’ils pouvaient, après tout, se tromper.
On trouvait cette remarque caractéristique: « A moi il me semble que j’ai raison, mais ma raison me dit que j’ai tort, parce que je doute de pouvoir être le seul à avoir raison tandis que tant de gens se trompent. » D’autres recourent à des façons tout à fait typiques de rationaliser ou d’expliquer l’état de désinformation qui brouillait leur vision du monde: ils transférèrent leur inquiétude sur un défaut organique ( « Je commençai à douter de ma vision » ), ils décidèrent qu’il y avait une complication exceptionnelle (illusion d’optique), ou encore devinrent si soupçonneux qu’ils refusèrent de croire l’explication finale, tenant qu’elle faisait elle-même partie de l’expérience et qu’on ne pouvait en conséquence s’y fier. L’un des sujets résuma ce qu’apparemment la plupart des dissidents ayant bien répondu avaient ressenti: « Cette expérience n’est semblable à aucune autre que j’aie vécue: je ne l’oublierai jamais ». (3)
Comme Asch le fit remarquer, le facteur sans doute le plus angoissant pour les sujets était le désir ardent et inébranlable d’être en accord avec le groupe [...] La volonté de renoncer à son indépendance, de troquer le témoignage de ses sens contre le sentiment confortable, mais déformant la réalité, d’être en harmonie avec un groupe, est bien entendu l’aliment dont se nourrissent les démagogues.
Paul WATZLAWICK, « La réalité de la réalité », Editions du seuii, collection Point, 1973.
(1) Solomon E. Asch. « Opinions and sociaJ pressure », Sdentific American, 193: 31-35, novembre 1955. – (2) Solomon E. Asch, « Studies of Independence and Submission to Group Pressures », Psychological Monographs, vol.70, n°4l6, 1956. – (3) Solomon E. Asch, « Social psychology « , New-York, Prentice-Hall, 1952, p. 450.-483.
En complément, un extrait sur du film « I comme Icare » s’inspirant du travail de Stanley Milgram qui, lui, s’était intéressé à la soumission de l’individu à l’autorité.
Extrait du film I comme Icare.
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