Les pages perdues
Par la vitre, j’aperçois le paysage. Certain serait déçu. Ce n’est pas un soleil éclatant qui réchaufferait, de ses rayons, la peau. Non, c’est une brume épaisse qui envahit le décor de ce plat pays. Cet air chargé d’humidité rend le coeur plus lourd mais moins desséché. C’est cette atmosphère qui me rappelle l’enfance. Une image dans la tête, celle de ma grand mère qui parcourt un grand parking. Le long traveling du camescope de mon père. L’humidité, la brume me rappellent la famille. Le mauvais temps n’est pas pour moi une dépression.
Quoique… j’ai déjà le coeur lourd de ne t’avoir pas vu. Cette ville que j’ai vu aujourd’hui dans la brume, une ville-étape qui n’était qu’un nom et qui me fait désormais penser à toi. Es-tu passé par cette rue ? Peut être pas la semaine dernière, mais les murs en gardent certainement le souvenir.
Aujourd’hui, alors que tu sais que je suis ici, que ressens-tu ? Tes yeux sont-ils aussi posés sur cette brume et as-tu imaginé ma présence ? Est-ce que tu as regretté de ne pas m’avoir vu ? Ou, en définitive, étais-tu trop concentré sur tes tâches quotidiennes ? Tu n’as, peut être, même pas fait attention à l’heure et, à la fin de la journée, tu t’en souviendras, alors que le temps s’est éclaircit. Tu n’auras pas partagé mes sentiments. Tu auras été dans un autre monde. Alors que je pensais être proche de toi, tu étais ailleurs. Comme bien des fois j’ai été ailleurs quand tu pensais à moi.
Tu me le diras peut être après demain. Moi, je me suis réfugié dans un parc, loin de la volière tumultueuse des mésanges, qu’on a enfermées par centaines pour la joie des gamins, mais qui perturbent la quiétude d’un jardin anglais du XIXème, déjà menacé par l’incessant râle des deux axes routiers qui le voisinent. Mon coeur goûte la mélancolie de cette peinture romantique en pensant à toi, avant de regagner la maison où, j’espère, la télévision sera éteinte.
(Wojciech Kilar) 1988
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