Le silence est d’or

Il avait l’amitié taciturne. Nous pouvions nous entendre, car moi aussi, j’aime le silence. Mais pour d’autres raisons que lui. Il se taisait pour réfléchir à des actes utiles. Ses pensées s’appliquaient toutes à des besoins : pêcher, trouver un bon mouillage, tendre une voile contre le soleil, s’abriter, cuire le repas. Rien que pour le plaisir de parler, quand il disait quelque parole. Et pas un geste vain. Chaque mot contenait une intention, chaque mouvement son utilité. Il était économe de son âme. Mais son âme était là. Je la sentais à mes côtés, toute close dans ce corps brun, et sans doute un peu sombre. Inséparable d’une vie violente, c’était sur un sang noir qu’elle vivait. On la devinait vindicative et fidèle.

Tout en moi contrastait avec cette nature, sauf ce goût du silence. Mais moi, si je me tais, c’est pour le plaisir de me taire. Ce plaisir n’exclut pas quelques pensées; toutefois, ce ne sont que des pensées oisives, qui flânent, errent, vagabondent, ou bien entrent dans ce demi-sommeil si favorable aux vaines songeries. Je ne fais pas alors de réflexions mais je poursuis nonchalamment le reflet des figures vagues qui me peuplent et, si je garde le silence, c’est qu’il facilite à ces ombres fugitives l’accès d’une âme enchanté par leurs apparitions.

- Tu dors debout, me disait Gatzo, irrité.

Lui avait séparé le sommeil de la veille avec une cruelle netteté.

- Quand je dors, disait-il, je fais ce qu’il faut. Je ferme les yeux et je ne pense à rien. Ça me repose. Toi, quand tu dors, tu te tournes, tu parles et tu gâtes ton sommeil…

Je ne répondais rien; il avait raison. Mais j’étais peiné.

Extrait Henri Bosco – L’enfant et la rivière

Silence poètique. J’aime le silence. A la fois comme Pascalet mais aussi comme Gatzo. Le silence pour ne pas dire des banalités ou répéter. Le silence comme temps de contemplation même si je lui laisse trop peu de temps à celui-là.

La tentation est grande, néanmoins, pour nouer contact de trop en faire quitte à paraître ridicule.


Extrait « Le grand saut » – Joel Coen (1994)

J’oscille donc constamment entre le muet et le parlant en attendant, un jour peut être, le plaisir simple d’être bien sans avoir la nécessité de le dire, d’y réfléchir.

Filed under: Cinéma, Lecture, Philosophie | Posted on mars 22nd, 2009 by rollover

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