Du journalisme (série : Hasard d’une lecture du moment)
Il pivote sur ses talons et sortit de la cage en verre. Elle le vit traverser la fourmilière de la rédaction et disparaître dans la salle du personnel. Johannes Frisk se leva pour le suivre.
- Pas toi, Johannes. Reste ici et assieds-toi.
Elle prit son texte et le parcourut encore une fois du regard.
- Tu fais un remplacement ici, si j’ai bien compris.
- Oui. Ca fait 5 mois, c’est ma dernière semaine.
- Tu as quel âge ?
- 27 ans.
- Désolé de t’avoir mis dans le champs de bataille entre Holm et moi. Parle-moi de ton article.
- On m’a tuyauté ce matin et j’ai transmis à Holm. Il m’a dit de poursuivre dessus.
- D’accord. La police travaille donc actuellement sur une hypothèse qui voudrait que Lisbeth Salander aurait été mêlée à une vente de stéroïde anabolisant. Est-ce que ton article a un lien avec le texte d’hier sur Sodeltalje qui parlait d’anabolisants ?
- Je n’en sais rien, c’est possible. Ce truc d’anabolisants vient de ses liens avec le boxeur. Paolo Roberto et ses copains.
- Parce que Paolo Roberto carbure aux anabolisants ?
- Quoi ? Non, bien sûr que non. Ca concerne plutôt le milieu de la boxe. Salander s’entraîne à la boxe avec des mecs pas nets dans un club à Soder. Mais ça, c’est la façon de voir de la police. Pas la mienne. C’est là quelque part que l’idée a surgi qu’elle serait mêlée à de la vente d’anabolisants.
- L’article ne repose donc sur rien, à part une rumeur en l’air ?
- Ce n’est pas une rumeur que la police vérifie une hypothèse. Après, qu’ils aient raison ou tort, je n’en sais rien.
- Parfait, Johannes. Je voudrais que tu saches que ce que je suis en train de discuter avec toi maintenant n’a rien à voir avec ma relation avec Luka Holm. Je trouve que tu es un excellent journaliste. Tu écris bien et tu as l’oeil pour les détails. Bref, c’est un bon article que tu as écrit. Mon seul problème, c’est que je ne crois pas un mot de son contenu.
- Je peux t’assurer qu’il est totalement correct.
- Et je vais t’expliquer pourquoi l’article a une erreur fondamentale. D’ou t’es venu le tuyau ?
- D’une source policière.
- Qui ?
Johanne Frisk hésita. Sa réticence était instinctive. Comme tous les journalistes du monde, il n’aimait pas révéler le nom d’une source. D’un autre côté, Erika Berger était la rédactrice en chef et donc une des rares personnes qui pouvaient exiger qu’il fournisse cette information.
- Un policier à la Crim qui s’appelle Hans Faste.
- C’est lui qui t’a appelé ou toi qui l’as appelé ?
- Il m’a appelé.
Erika Berger soupira.
- Il t’a appelé pourquoi, à ton avis ?
- Je l’ai interviewé plusieurs fois pendant la chasse Salander. Il sait qui je suis.
- Et il sait que tu as 27 ans, que tu es remplaçant et utilisable quand il veut placer des informations que le procureur veut diffuser.
- Oui, je comprends bien tout ça. Mais voilà, je reçois un tuyau d’un enquêteur et je vais boire un café avec Faste et ce qu’il me raconte, c’est ça. Je reproduis correctement ses dires. Alors, que dois-je faire ?
- Je suis persuadée que tu l’as correctement cité. Ce qu’il aurait fallu faire, c’est porter l’information à Lukas Holm qui aurait dû frapper à ma porte et expliquer la situation, pour nous permettre de décider ensemble la suite à donner…
- Je comprends. Mais je…
- Tu as remis le matériel à Holm qui est le chef des Actualités. T as bien fait. C’est Holm qui a foiré. Mais procédons à une analyse de ton texte. Premièrement, pourquoi est-ce que Faste veut que cette information soit rendue publique ?
Johannes Frisk haussa les épaules.
- Ca veut dire que tu ne sais même pas ou que tu t’en fiche ?
- Je ne sais pas.
- D’accord. Si j’affirme que ton article est mensonger et que Salander n’a absolument rien à voir avec des stéroïdes anabolisants, qu’est-ce que tu réponds ?
- Que je ne peux pas prouver le contraire.
- Exactement. Ca voudrait donc dire que d’après toi on peut publier un article qui est peut être mensonger uniquement parce que nous ne savons rien sur le contraire ?
- Non, on a une responsabilité journalistique. Mais on fait constamment de l’équilibre. On ne peut renoncer à publier quand on a une source qui a expressément affirm quelque chose.
- C’est une philosophie. Nous pouvons aussi nous poser la question de savoir pourquoi la source veut diffuser cette information. Laisse-moi t’expliquer pourquoi j’ai donné l’ordre que tout ce qui touche à Salander doit passer par mon bureau. Je possède des connaissances particulières en la matière que personne d’autre ici à SMP ne possède. La rubrique Droit a été informée que je possède cette connaissance et que je ne peux pas en discuter avec eux. Millénium va publier un papier et je suis liée par contrat de ne pas le révéler à SMP bien que je travaille ici. J’ai eu cette information en ma qualité de directrice de Millénium et, en ce moment, je suis assise entre deux chaises. Tu comprends ce que je veux dire ?
- Oui.
- Et mes connaissances depuis Millénium me permettent sans hésitation d’établir que cet article est mensonger et qu’il a pour but de nuire à Lisbeth Salander avant le procès.
- Il est difficile de nuire à Lisbeth Salander, vu que toutes les révélations qu’il y a déjà eu sur elle…
- Des révélations qui ont pour la plus grande partie sont mensongères et dénaturées. Hans Faste est une des sources centrales de toutes les révélations disant que Lisbeth Salander est une lesbienne parano et violente qui fricote avec le satanisme et le sadomaso. Et les médias ont gobé l’histoire de Faste tout simplement parce qu’il est une source apparemment sérieuse et que c’est toujours marrant d’écrire sur le sexe. Et maintenant il continue avec un nouvel angle de tir qui va charger Lisbeth Salander dans l’esprit du public et il aimerait mettre SMP à contribution pour le répandre, mais pas sous mes ordres.
- Je comprends.
- Tu es sûr ? Bien. Alors je vais pouvoir résumer tout mon propos en une seule phrase. Ta mission en tant que journaliste est de remettre en question et d’avoir un regard critique – pas de répéter bêtement des affirmations même si elles viennent de joueurs placés tout en haut de l’administration. Tu es un super-rédacteur, mais c’est un talent qui n’a plus aucune valeur si tu oublies la mission du départ.
- Oui.
- J’ai l’intention d’annuler cet article.
- D’accord.
- Il ne tient pas la route. Je ne crois pas au contenu.
- Je comprends.
- Ca ne veut pas dire que je n’ai pas confiance en toi.
- Merci.
- C’est pourquoi je vais te renvoyer à ton bureau en te proposant un autre article.
traduit par Lena Grumbach et Marc de Gouvernain
Leçon de journalisme à l’heure de la dernière polémique de GA.
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Polémique que je n’ai d’ailleurs pas très bien compris, si ce n’est qu’elle est liée au tristement célèbre LePost.fr.
Les blogs ne sont pas du journalisme. Les expérimentations douteuses du Post, qui essayent de se nourrir de ce mélange dans les matières parfois les plus sulfureuses, n’a rien à voir avec ce qui se fait sur GA.
Je ne comprend donc pas vraiment la position du webmestre qui semble pourtant faire la différence mais procède quand même au retrait (du post sur la mort présumée de Flavie Flament) comme s’il n’assumait pas sa réflexion. Enfin, tenir la barre du navire GA n’est pas de tout temps facile. « L’oeuvre censurée » n’est somme toute pas un très grand apport à l’humanité.
Mais espérons que cela ne se reproduise pas trop. Le ridicule reste un mal nécessaire et il ne tue pas. L’intelligence nous garde de l’arbitraire. Il ne faut pas contribuer à la confusion, ce sont bien eux qui sont fautifs, ne leur laissons pas se faire une virginité et éviter les coups de bâtons.
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