Accueillir ou reconduire (série : lecture du moment)

Lecture terminée ! Etant fonctionnaire de préfecture, mon devoir de réserve m’empêche de commenter cette analyse intéressante d’un de nos services même si j’en suis assez éloigné. Je ne ferai donc que reprendre certains passage de l’introduction. J’espère que Lange, garant de la qualité artistique du jdi, ne m’en fera pas le reproche ;) .

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La politique d’immigration a connu, durant les trente dernières années, d’incessantes réformes législatives. Depuis 2003, le durcissement s’est transformé en acharnement : en à peine cinq ans, la loi a été modifiée à quatre reprises, toujours dans le même sens : précarisation du séjour des étrangers et renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière.

La fixation d’objectifs chiffrés toujours plus élevés pour les reconduites à la frontière a donné lieu à de nouvelles pratiques : à la fin de l’année 2003, le placement d’enfants en centre de rétention, jusque-là exceptionnel, devient monnaie courante. L’année suivante, plusieurs familles sont arrêtées après l’intervention de policiers à l’intérieur d’établissements scolaires. Dans le même temps, les contrôles d’identité et les arrestations massives se multiplient dans les quartiers à forte population étrangère. La course aux chiffres a pour conséquence la mise en place de véritables pièges : en juillet 2004, plusieurs demandeurs d’asile sont arrêtés au guichet de la préfecture de Paris alors qu’ils y avaient été convoqués pour un réexamen de leur situation administrative. Le 9 août 2007, à Amiens, un jeune garçon de douze ans tombe d’un balcon du quatrième étage en tentant d’échapper à des policiers venus appréhender sa famille. Au total, le nombre d’étrangers arrêtés pour infraction à la législation sur le séjour est passé de 62 233 en 2002 à 111 842 en 2007, soit une augmentation de 80 %.

Cette spirale répressive place les responsables politiques qui l’ont engagée face à une série de contradictions : comment exiger toujours plus de résultats en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, tout en se déclarant fidèle aux normes établies par le droit international ? Comment préconiser une baisse des demandes d’asile, stigmatisées comme « immigration subie », tout en restant signataire de la convention de Genève ? Comment restreindre de façon drastique l’immigration familiale sans remettre en cause le principe du droit à mener une vie familiale normale, inscrit dans la convention européenne des droits de l’homme ? Pour résoudre ces contradictions, les gouvernements successifs ont construit une politique en trompe-l’œil : d’un côté, ils adoptent des lois répressives qui respectent en apparence les droits fondamentaux mais, de l’autre, ils délèguent aux fractions subalternes de l’Administration le soin de rendre ces droits inopérants. C’est ce qu’on pourrait appeler la « politique des guichets ». Les discours qui accompagnent ces nouvelles réformes peuvent ainsi garder l’apparence de l’équilibre (« sévère et digne », « ferme et humaine »), tout en dissimulant les conséquences concrètes de leur mise en œuvre. Pour dévoiler cette sphère méconnue de la politique d’immigration, il faut déplacer le regard, des discours aux pratiques, et des principes juridiques à leur application.

En focalisant leur attention sur la lutte contre l’immigration irrégulière, les responsables politiques sont parvenus à imposer une suspicion qui pèse sur tous les étrangers demandeurs de titres et qui s’étend à tous ceux qui hébergent, aident ou soutiennent des sans-papiers.

L’observation de ces agents au travail incite à rompre avec deux idées préconçues. L’une, largement répandue parmi ceux qui les fréquentent en tant qu’usagers, consiste à penser que ces fonctionnaires sont forcément racistes ou prédisposés à l’être ; on verra au contraire que beaucoup se retrouvent à ces postes sans l’avoir choisi. L’autre, davantage diffusée au sein de l’Administration, réside dans la croyance qu’ils ne font qu’appliquer la loi ; en réalité, leur marge de manœuvre est importante et dépend étroitement des instructions de chaque chef de bureau. Les itinéraires individuels de celles et ceux qui composent ces services sont multiples, mais ils sont soumis à un même conditionnement, destiné à leur inculquer une certaine vision de l’immigration plutôt qu’une connaissance des règles de droit à appliquer. Si les agents adhèrent dans l’ensemble à un même objectif de maintien de l’ordre national, ils ne conçoivent pas tous leur mission de la même façon. En me faisant embaucher comme « guichetier vacataire » dans un service préfectoral, j’ai pu acquérir une connaissance intime de leurs trajectoires biographiques, de leurs croyances et de leurs doutes. Selon leurs représentations et leur position dans le service, ils réagissent différemment aux injonctions de leur hiérarchie et peuvent prendre des décisions très variables d’un étranger à l’autre. Dans cette configuration, l’introduction d’indicateurs de performance en matière de traitement des dossiers puis en matière de reconduite à la frontière a contribué à faire prévaloir les critères d’efficacité au détriment de toute autre considération.

Dans bien des domaines, la rhétorique de la fraude permet de légitimer la non application d’une loi jugée trop généreuse et de justifier le fait que les agents qui la mettent en oeuvre y ajoutent tout une série d’obstacle

Alexis Spire, Accueillir ou reconduire, enquête sur
les guichets de l’immigration
, Raison D’Agir, 2008

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Filed under: Lecture, Politique | Posted on janvier 18th, 2009 by rollover

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