Le moralisme ne fait pas une bonne politique (série tibet)
Ou on apprend que les bien pensants du canapé vont contribuer à renforcer le pouvoir non démocratique en Chine.
Depuis maintenant plusieurs semaines, nous avons des posts reprenant les images choc des journaux télévisés et des manifestations pro-tibétaines. Certains, tout heureux d’apprendre que la Chine était un pays communiste non démocratique, bafouant les droits de l’homme, et organisateur des JO de 2008, s’empressèrent de partager leurs nouvelles connaissances sur le JDI.
Les JO ont déjà commencés : les supporter sont déjà là !
Certes, quel plaisir de se sentir, comme dans un stade de foot, en communion nationale contre le Mal. Les divergences politiques de droite comme de gauche, les divergences sociales, les divergences intellectuelles oubliées… Chacun peut y aller de son JO menotté ou barbelé.
Cette bulle médiatique n’aura pas trop de conséquence. Comme toutes les bulles médiatiques, dans quelques mois, on s’orientera vers un nouveau sujet. On s’offusquera de l’absence du soutien gorge de Carla Bruni ou sur le sens à donner à la nouvelle interview de Ségolène Royal à Paris Match.
Mais pour les droits de l’homme en Chine ?
Il n’y aura pas d’intervention internationale en Chine pour libérer le Tibet (la France a déjà son Afghanistan et les Etats-Unis leur Irak). Les JO se dérouleront comme prévu à Pekin. Les sportifs français et le président y participeront. Et il est même prévu qu’une grande majorité des biens pensants du canapé les regardent.
La campagne médiatique en faveur des droits de l’homme en Chine, que des conséquences négatives
Il y aura des conséquences pourtant. Mais elles seront négatives.
En effet, la médiatisation internationale basée parfois sur des caricatures et des erreurs grossières sur le traitement des événements de Lhassa va relancer le sentiment chinois d’exclusion et renforcer la cohésion du peuple chinois avec ses dirigeants.
Les raisons du communisme en Chine et la lutte contre les archaïsmes
Il faut savoir que le communisme en Chine est né du rejet de l’impérialisme occidental. La Chine était avant 1949 dans un état calamiteux, arriéré au niveau des mœurs, des techniques. Replié sur ses traditions millénaires, le pays était partagé en zone d’influence entre puissances occidentales qui n’osaient pas officiellement le coloniser. Ce qui n’a néanmoins pas empêché le Grand Bretagne de se saisir à la périphérie de Hong Kong et d’avoir des vues sur le Tibet. (Vous remarquerez d’ailleurs le lien troublant avec le Koweit, province riche de l’Empire ottoman que les anglais ont détachés de l’influence irakienne dans les même années où ils accordèrent l’indépendance au Tibet).
La révolution communiste menée par Mao fut donc à la fois une lutte contre les envahisseurs occidentaux et contre les anciennes coutumes. Ce fut la révolution culturelle. Le retour du Tibet dans le giron Chinois s’explique par cette contestation de cette indépendance anglaise donnée et par la volonté de destitution de l’ordre despotique du Dalai Lama.
Le communisme a contribué à relancer le prestige du pays, en faisant cesser les guerres internes, en mettant un terme aux anciennes superstitions (le bouddhisme tibétain entre autres) et en favorisant l’arrivée des sciences modernes occidentales (voir le débat encore virulent qu’il y a encore aujourd’hui entre la médecine chinoise et la médecine moderne).
Voici pourquoi la Chine est un des grands pays au monde où le communisme continue à perdurer. Il y a une forte adhésion populaire pour considérer que le communisme a été une bonne chose pour le pays. Surtout que le communisme a évolué.
Dans les grandes zones économiques, il ne reste plus de ce communisme que cette lutte contre les traditions et une politique très encadrée militairement. Cette politique est jugée nécessaire pour gérer les déséquilibres entre des régions très dynamiques sur la côté Est et des vastes zones rurales cantonnées dans la misère.
Un parti communiste chinois sous pression
Cependant, les écarts de développement et de richesses qui se creusent entre les régions mais aussi entre les chinois des grandes villes modernes, sont des menaces pour le gouvernement qui est sous constante pression d’un soulèvement.
Loin d’être l’Etat dictateur et tyrannique qu’on nous décrit dans Télé 7 jours, le gouvernement continue sans relâche les réformes. Mais, il est vrai que la société chinoise reste plus violente que les nôtres et que les droits de l’homme ne sont pas aujourd’hui respectés. Pourtant de nombreux spécialistes s’accordent à dire que la Chine est condamnée à se démocratiser..
Une campagne moraliste et médiatique légitimant la montée d’un nationalisme chinois anti-démocratique
Or la campagne moraliste pourra mettre un frein à ce processus, en provoquant la montée du nationalisme chinois. Un nationalisme chinois qui se braquerait contre ces idée des droits de l’homme et de démocratie vécues comme imposées par l’extérieur et non pensées comme valeurs universelles. Un nationalisme chinois qui ferait oublier les divergences au sein de la société chinoise : les opposants au régime et les réformateurs deviendraient inaudibles, les ouvriers tairaient leur revendication envers leurs cadres dirigeants.
Mais ça, nos bien pensants du canapé, qui ne se documentent au mieux que sur Wikipedia, ne peuvent pas le savoir.
(pour info : voir les nombreux articles sur la Chine sur le site de la vie des idées traitant sur la politique des réformes, la montée des contestations, le rôle d’internet…)