Etre positif dans le devenir de la science.
Je n’aime pas être négatif. Aujourd’hui, il semble que tout le monde ait peur de tout. La science malheureusement a aussi ses opposants. Cela m’amuse de trouver dans les livres que je lis des extraits plaisants que l’on peut juxtaposer à l’actualité. J’ai écrit sur un autre blog, quelque chose contre les opposants aux OGM, aux nanotechnologies, voire aux écologistes. Je n’ai pas un grand talent d’écriture, donc je vous fait partager ceci.
« J’ai compris tout de suite, quand la nuit est tombée, qu’il se passait, qu’il se tramait quelques manigance. Je connais onze volcans dans ce département, Edouard. Mais douze ! J’ai flairé, j’ai pressenti que tu n’y étais pas pour rien. Angoissé, je m’élance, je cours, espérant encore contre toute espérance, j’arrive et que vois-je…? Ma parole, il te faut à présent ton volcan particulier ! Ah ! Cette fois, Edouard, t’y voici !
Père souriait facétieusement.
- Tu crois que m’y voici vraiment, Vania ? demanda-t-il. Je veux dire : que j’ai vraiment atteint le seuil ? Oui, je me disais bien que ce pourrait l’être, mais comment en être tout à fait sûr… Un seuil, oui, sans doute, dans l’ascension de l’homme; mais le seuil, est-ce bien ça ?
Père plissait comiquement les yeux, comme s’il était en proie à la plus vive angoisse. Nous lui voyions souvent prendre cette expression.
- Un seuil ou le seuil, je n’en sais rien, dit oncle Vania, et j’ignore ce que tu crois être en train d’accomplir, Edouard. De te pousser du col, ça, sûrement. Mais je te dis, moi, que tu viens de faire ici la chose la plus perverse, la plus dénaturée…
Mais père l’interrompit.
- Tu as bien dit « dénaturée » ? s’écria-t-il avec enthousiasme. Vois-tu, mon vieux Vania, depuis un bon bout de temps que nous nous sommes mis aux outils de silex, on pouvait dire qu’il y avait, dans la vie subhumaine, un élément non naturel, artificiel. Et peut être que c’était ça, le seuil, le pas décisif. Et peut être que maintenant , nous ne faisons plus que progresser. Seulement voilà : toi aussi tu tailles le silex, tu te sers de coups-de-poing. Alors, pourquoi m’accuses-tu ?
- Encore ! dit oncle Vania. Nous avons déjà discuté mille fois de cette question. Je t’ai déjà dit mille fois que, si l’on reste dans des limites raisonnables, les outils, les coups-de-poing ne transgressent pas vraiment la nature. Les araignées se servent d’un filet pour capturer leur proie; les oiseaux font des nids mieux construits que les nôtres; et j’ai vu, il n’y a pas longtemps, une troupe de gorille battre comme plâtre une paire d’éléphants – oui, tu m’entends, des éléphants ! – avec des triques. Je suis prêt à admettre, tu vois, qu’il est licite de tailler des cailloux, car c’est rester dans les voies de la nature. Pourvu, toute fois, qu’on ne se mette pas à en dépendre trop : la pierre taillée pour l’homme, non l’homme pour la pierre taillée ! Et qu’on ne veuille pas non plus les affiner plus qu’il n’est nécessaire. Je suis un libéral, Edouard, et j’ai le coeur à gauche. Jusque-là, je peux accepter. Mais ça, Edouard, ça ! Cette chose là ! dit-il en montrant le feu, ça, c’est tout différent, et personne ne sait où ça pourrait finir. Et ça ne concerne pas que toi, Edouard, mais tout le monde ! Ça me concerne moi ! Car tu pourrais brûler toute la forêt avec une chose pareille et qu’est-ce-que je deviendrais ?
- Oh ! dit père, je ne crois pas que nous en viendrons là !
- Tu ne crois pas, vraiment ! s’exclama l’oncle. Ma parole, peut-on te demander, Edouard, si tu possèdes seulement la maîtrise de cette… chose ?
- Euh… eh bien, plus ou moins, sûrement. Oui, c’est ça, plus ou moins.
- Comment ça plus ou moins ! Tu l’as ou tu ne l’as pas, réponds, ne fais pas l’anguille : peux-tu l’éteindre, par exemple ?
- Oh ! ça s’éteint tout seul, suffit de ne pas le nourrir ! dit père sur la défensive.
- Edouard ! dit oncle Varnia. Une fois de plus je te préviens : tu as commencé là un processus que tu n’es pas sûr d’être en mesure d’arrêter. Ça s’arrêtera tout seul si tu ne le nourris pas, dis-tu ? Et s’il lui prenait la fantaisie de se nourrir tout seul, qu’est-ce-que tu ferais ? Tu n’y as pas pensé ?
- Ça n’est pas arrivé, dit père avec humeur, pas encore. Le fait est qu’au contraire ça me prend un temps fou à garder en vie, surtout par nuits humides.
- Alors cesse de la garder en vie plus longtemps, laisse le mourir ! dit oncle Varnia. Je te le conseille gravement, sérieusement. Cesse, avant d’avoir provoqué une réaction en chaîne. Cela fait combien de temps déjà que tu joues ainsi avec le feu ?
- Oh, j’ai découvert le truc il y a plus d’un mois, dit père. Vania, tu ne te rends pas compte, c’est un truc fascinant. Absolument fascinant. Avec des possibilités prodigieuses ! Ne serait-ce que le chauffage, ce serait déjà un grand pas, mais il y a tellement d’autres choses ! Je commence seulement d’en faire l’étude sérieuse. C’est faramineux. Tiens, prends la fumée, tout simplement : crois-le ou non, cela asphyxie les mouches et chasse les moustiques. Oh, biensûr, c’est une matière difficile que le feu, et d’un maniement délicat. De plus, ça bouffe comme un ogre. Plutôt méchant avec ça : à la moindre inattention, cela vous pique comme le diable. Mais c’est, vois-tu, vraiment quelque chose de neuf. Qui ouvre des perspectives sans fins et de véritables.
Un hurlement l’interrompit. Oncle Varnia dansait, il sautillait sur un seul pied. J’avais bien remarqué, avec beaucoup d’intérêt, que depuis un moment il se tenait debout sur une braise ardente. Trop excité par la dispute pour s’en apercevoir, il n’avait remarqué ni l’odeur ni le sifflement. Mais à présent la braise avait mordu tout à travers le cuir épais de son talon.
- Yah ! rugit oncle Vania. Ça m’a mordu ! Ouillouille ! Toi, Edouard, imbécile, ne te l’avais-je pas dit ? Vous y passerez tous, elle vous mangera tous, ta stupide trouvaille ! Ah ! vous voulez danser sur un volcan vivant ! Edouard, j’en ai fini avec toi ! Ta saloperie de feu va vous éteindre tous, toi et ton espèce, et en un rien de temps, crois moi ! Yah ! Je remonte sur mon arbre, cette fois tu as passé les bornes, Edouard, et rappelle-toi, le brontosaure aussi avait passé les bornes, où est-il à présent ? Adieu. Back to the trees ! »
( extrait de « Pourquoi j’ai mangé mon père » de Roy Lewis – 1960 à une époque où on avait encore foi dans la progrès et la science et à une époque où naissaient les premiers mouvements d’opposition hippie)
Par la suite, l’oncle devait continuer à pester, en venant bizarrement les nuits les plus froides.